les œuvres qui soignent les morsures coloniales

  1. Comment travaillez-vous artistiquement dans votre contexte local au Cameroun ? Modaperf peut être un bon exemple

Avant toute réponse, j’aime mentionner d’où je viens, c’est la base de toutes mes créations aujourd’hui.
Je suis né au village à l’ouest du Cameroun, originaire des peuples Bamilékés qui font partis d’une des plus grandes communautés des luttes pour l’indépendance du Cameroun. C’est un héritage de naître dans cette communauté.
J’ai grandi dans les rues de Douala (capitale économique) où j’ai commencé à danser dans les rues, suite à l’environnement vivant de nuisance sonore 24h sur 24 non-stop. C’est dans ce contexte de vie que mon art prend forme. Je viens des danses dite « urbaines », en réalité Hip-hop. Du break-dance au Popping, passant par le robot, le waving, l’animation, le smurf…je me suis faire appeler SNAKE par le public camerounais qui me voyait danser comme un serpent. Je garde aujourd’hui ce nom comme mémoire des témoignages de mon entourage et de la communauté Hip-Hop du Cameroun.
(Voir BIO en ligne).
Le contexte camerounais reste un contexte très particulier de par son mode de vie, son fonctionnement et son système de débrouillardise pour vivre, c’est-à-dire l’instant de survie face aux gigantesques politiques d’oppressions des libertés.
Mon travail dans ce contexte est un mariage entre les besoins et les urgences de la société civile, les communautés, les sciences d’aujourd’hui, les rites (héritages ancestraux) et mes œuvres artistiques. « Je ne peux créer si mon art ne rencontre pas les communautés ». C’est le contexte qui nous inspire à créer des œuvres affranchit pour sortir de la grande nuit comme disait Achille Mbembé.
La société est le lieu de repère pour diagnostiquer tous les comportements sociaux. C’est un centre d’opération ouvert à tous et à toute. Un espace qui contribue à consulter la poésie urbaine comme source d’inspiration de nos théâtres d’aujourd’hui. « théâtre » ici est présenté comme un langage inventé par les acteurs de la société. L’artiste dans cette constellation urbaine est le médecin de la société.
La cité est notre inspiration quotidienne. Le socle des luttes et résolutions d’un territoire, d’un peuple. C’est dans les conditions précaires, les doutes, les incertitudes, les peurs, les guerres, les conflits, les divisions, les préoccupations sociales communes que nous nous exerçons à créer, à inventer, à espérer, à œuvrer pour construire nos imaginaires au service du développement artistique et culturel commun. Dans le souci de remettre l’art au centre des débats sociaux, l’approche artistique hors les murs également permet de réinventer un dialogue artistique et social avec nos populations locales, des cités et quartiers parfois très éloignées de nos activités culturelles.

J’ai double casquette à la fois chorégraphe de la compagnie Zora Snake et fondateur, directeur artistique de la Biennale internationale Modaperf au Cameroun.
Comme chorégraphe, performeur et danseur, interprète de mes propres œuvres, mon travail est basé sur des recherches approfondit en discussion avec les chercheurs, historiens, scientifiques et patriarches des villages (gardiens des traditions et des coutumes liées à notre identité). Toutes mes œuvres ont un processus de création. C’est pourquoi elles prennent beaucoup de temps avant de se présenter au grand public car comme j’aime le dire, « je ne fais pas de spectacle, je mets en situation la vie, c’est-à-dire, les conditions dans lesquelles nous existions ».
Mes performances s’inspirent des utopies africaines qui sont des croyances réellement existantes et non des mythes. Mes performances existent par l’esprit présent qui habite l’œuvre et restent à la fin dans les imaginaires, c’est-à-dire dans le trouble du confort public.
J’ai plusieurs étapes pour créer une œuvre. C’est un rituel. Elles mettent du temps pour concevoir l’œuvre.
D’abord j’infiltre mon imaginaire, je laisse voyager l’esprit et je meurs de chair pour renaitre sur scène.
L’œuvre est esprit, l’esprit est infini.
Dans un contexte comme le Cameroun, parfois je meurs pour dévier le politique dans sa barbarie de force et puissance qui sont pour moi, une séquelle de la colonisation. L’acte de mourir me permet de respirer pour créer mon œuvre. Les sujets que j’aborde, je les vis au quotidien (Les frontières, la religion, l’immigration, le néocolonialisme, les stéréotypes, les divisions, les violences, les discriminations, le racisme…). C’est pourquoi mon engagement artistique dans le contexte camerounais est d’abord politique. La poésie est un prétexte pour boxer la situation.
« Le monde est une mangouste, il faut mordre pour survivre ». Une inspiration du combat titanesque du serpent et de la mangouste.
Voir les œuvres en ligne
Parfois sans attente des subventions au besoin de trahir l’art qui n’est pas une production vouée à la surconsommation dans l’industrie de la création contemporaine comme on le pense, mais qui est esprit et conviction intérieure de l’artiste. Comme chorégraphe créateur, le déclic de l’acte de créer vient de l’esprit, c’est-à-dire, des songes et prévisions du monde. Je me nourris de tous les éléments possibles pour créer une œuvre. C’est un lien générationnel.
Nous croyons en la toute-puissance des ancêtres qui ont bien saisi la tournure du monde actuel avant l’arrivée de la traite négrière, de l’esclavage, de la domination et de la colonisation.
Pour ce fait, je créé à partir du village Sonkeng, proche des lieux et cases sacrées de mes grands-parents pour décodifier mon existence soumis par la matrice du monde. Je me révèle proche des ancêtres pour m’inventer, m’accoucher, me déconstruire, me guérir et soigner le monde.
Ici, le contexte camerounais est similaire à d’autres contexte dans d’autres pays en Afrique (manque d’infrastructures pour création contemporaine, manque de subventions, manque de soutiens, manque de lieux de théâtres et danses…), l’artiste doit de plus en plus s’engager pour en faire de ses manquements, une force intérieur.
Raison pour laquelle, je mets en œuvre, le festival Modaperf, les formations, les projets de créations, et plusieurs activités en cours sur le territoire camerounais donc l’une des plus fondamentale est la création de centre artistique de danse et performance dans le village Sonkeng, dédié à tous les artistes nationaux et internationaux…

BIENNALE INTERNATIONAL MODAPERF : un exemple fondamental de mon travail dans le contexte camerounais.
Le festival Modaperf devenu une Biennale internationale Modaperf, créée en 2017, sert de plateforme favorisant les liens entre l’art, la société et l’éducation tout en facilitant le dialogue international.
Véritable « carrefour » de réflexion et d’échanges, il aborde les enjeux clés de notre époque. Le festival MODAPERF (Mouvements, Danses et Performances) a été fondé par la chorégraphe et performeuse camerounaise Zora Snake à Yaoundé. Elle s’est imposée comme une plateforme internationale et professionnelle. Il offre un espace de rencontres artistiques, de formation, de dialogue, d’échange de connaissances et de découverte de jeunes talents locaux. Dans le même temps, il favorise le développement culturel de villes comme Douala, Yaoundé et Dschang en rendant l’art accessible à « tous ». MODAPERF est considéré comme un lieu d’art socialement engagé, créant des liens et renforçant le dialogue avec les sociétés urbaines et civiles du Cameroun. Avec son concept de festival itinérant, la Biennale relie les espaces urbains et ruraux, crée des rencontres avec un large public et construit des relations durables.

L’une des façons de travailler pour le Modaperf est d’impliquer la société civile dans le processus de programmation, c’est-à-dire nous consultons la jeunesse des villes et villages, pour comprendre des différences d’opinions sur des sujets qui nous lient. Dans ce dialogue entre organisation et population, nous analysons une thématique qui parle à la fois aux artistes locaux, aux artistes internationaux et aux populations locales pour en faire du moment, des éditions spéciales. Nous programmons dans des espaces de mémoires et de vestiges pour retrouver les traces de nos ancêtres et panser la plaie de l’histoire.
Modaperf est un espace de révolution mais aussi un espace de guérison.
Sa programmation est pensée avec une dramaturgie de l’espace urbain et du contenu des artistes, telle une création artistique dans son ensemble. Gratuit et ouvert à tout public, il est important de mentionner les difficultés financières dans lesquelles nous faisons face chaque année de Biennale.
Notre nouveau cadre de travail est structuré sur deux années, c’est-à-dire, l’année des « labo-Modaperf » (appel à candidature nationale, présélection des compagnies sur présentation des work-in-progress, mises en contact avec des chercheurs, scientifiques, professeurs d’université, anthropologues, sociologues, historiens d’arts et professionnels du milieu artistique…) pour un dialogue approfondi avec des artistes sur leur processus de création. L’année d’après est l’année d’accompagnement en résidence de création afin de présenter leur œuvre au grand public pendant la plateforme Biennale internationale Modaperf qui se tient en novembre.
Pour l’année 2025, la Biennale internationale Modaperf se tiendra du 26 au 30 novembre 2025 dans la ville de Dschang, le village Sonkeng et à Yaoundé.

(voir dossier Modaperf 2025 avec demande de soutien)

2. Comment votre travail aborde-t-il les idées de colonialisme/décolonisation ?

PROCESSUS DE CREATION
Le processus de travail de Zora Snake en général s’ancre dans les traditions Bamilékés, où les traces des peuples Bamilékés viennent des Baladis et remontent sur l’Egypte antique. Le processus s’inspire de la pensée dite « Bantoue » où la transmission des connaissances et savoirs, est d’abord circulaire, orale, organique, physique, spirituelle, artistique, scientifique, donnant la morphologie d’un serpent qui mue, la réincarnation, la transformation. Ce processus contribue à entrer à l’intérieur de soi, au plus profond de son être, de sa franchise, de son sensible pour lui faire l’amour et accoucher une œuvre vivante. Le voyage est un processus pour ouvrir le dialogue entre le monde extérieur et le monde intérieur, la liane qu’on perçoit et la liane qu’on conçoit, (entre-deux), pour muer. Ce processus également contribue à la transformation des outils pour nourrir un état de corps qui sert à la construction de l’œuvre, de la danse ou de la poésie en lien avec la sacralité du vivant. Notre science est organique, animée par les corps et esprits qui peuvent exprimer une certaine liaison historiques des faits absurdes, mais réels. C’est une cosmogonie.

Zora Snake compose, développe et construit ses œuvres artistiques d’abord de façon circulaire, désaxer, désarticuler, déconstruite, décliner, très ouvert et libre, avec des images et symboles dévier de son sens originel pour en retrouver l’originalité du geste au visuel contribuant à la dramaturgie et la plasticité de l’œuvre.

Ses projets tissent du lien avec ses créations précédentes et celles en perspectives. C’est une couture où le fil qui relie est une écriture de sa dramaturgie donc le serpent qui mue de nouveau. Pour y retrouver l’originalité de ses œuvres, il définit le processus comme un serpent cosmique qui traverse l’univers donc son ancrage est au village, pour ensuite trouver la singularité dans son langage artistique. Ses œuvres sont fondées pour « tacher le visible », confronter le monde dans ses contradictions, ses absurdités, ses folies et ses crises, un art qui questionne l’existence des vivants, la temporalité, la spatialité et les mouvements du monde actuel. Une façon de s’échapper des récits dominants.

La matérialisation par le corps est un moyen de retranscrire chez les visibles (vivants) l’espace des pensées universelles/invisibles/indicibles qui raisonnent sur la réalité de notre monde. Le monde est conçu en Pays Bamiléké par l’humain et non le contraire. “C’est ce que construit l’espèce qui fait monde”. (Dans la cosmogonie Bamiléké, il y’a eu création du monde avant la création du monde).

Zora Snake pense l’art de danser, de performer, comme un espace sacré, un rendez-vous de contestation de nos imaginaires, un lieu qui nous déplace dans la perception de notre monde extérieur en dualité avec notre monde intérieur, un espace de dépassement, un refuge de nos réflexions diverses qui croisent le monde, un espace à la fois de transmission et de révélation sur les enjeux de la communauté aujourd’hui appelée « Public ». C’est dans ce processus de réflexion que le chorégraphe tresse ses performances pour mieux comprendre l’espace-temps dans lequel on inscrit nos œuvres créatives comme archives d’un futur collectif.
Le corps chez Zora Snake est une matière à la fois immatérielle et multiforme. C’est l’espace d’amas de toutes les intuitions, les songes, les utopies, les inepties, les crises, les fantasmes, les réalités et les rêves qui viennent se transformer à l’intérieur de nous pour en faire un geste artistique habité, parfois hanté de folie, d’utopie réelle et fictive, de poésie et de politique. Au-delà du beau, de l’esthétique, comment vit-on l’œuvre en nous et l’après conception ?

« Notre corps, outille de la main d’œuvre qui forge le devenir de notre humanité ».

C’est dans ce processus de travail que Zora Snake révèle les « non-dits », « les Blancs » de l’histoire qui s’échappent et reviennent comme fantômes du choc des cultures.

Déjà à partir de mon nom de scène « SNAKE », le conflit idéologie commence à raisonner sur la contradiction de l’avènement du monde et l’hypocrisie du christianisme selon des croyances religieuses qui considèrent que le serpent est un animal mauvais.

AU NON DE QUI, DE QUOI, CET ANIMAL, CREE PAR DIEU COMME ON LE DIT, EST MAUVAIS, APRES AVOIR DONNER LA SAGESSE, L’INTELLIGENCE, LE SAVOIR, LA CONNAISSANCE ET NOUS A OUVERT LES YEUX ?

Mon travail commence à rencontrer les séquelles de la colonisation quand je suis retourné approfondir mes recherches au village où je suis né.

Chaque œuvre est une tentative de déviation et d’évasion de la machine coloniale.
C’est dans la déconstruction des idéologies reçues que mon travail trouve son chemin dans les répliques du discours sur le colonialisme. « Nous ne sommes pas encore sortir du Joug colonial. Il a juste changé de former, et c’est la plus dangereuse pour notre Afrique, notre humanité. »

Attention, même l’Europe est colonisée par son propre luxe et esclave d’une richesse qui ne lui appartient pas.

Mon travail invite L’Europe à se décoloniser d’abord avant de chercher à décoloniser l’Afrique.

Voir « Les séquelles de la colonisation », « les masques tombent », « l’opéra du villageois »

Ma prochaine création 2025, avec 7 artistes au plateau est « COMBAT DES LIANES » en production au Théâtre national de Bruxelles avec des coproducteurs en soutien.
Le projet sort le 23 septembre 2025 au studio du Théâtre national de Bruxelles.

Bio

Artist bio Coming soon…

Zora Snake
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